Le réviseur d’entreprises, créateur de confiance au service de l’économie et des pouvoirs publics

 

On ne le répètera jamais assez. La mission du réviseur d’entreprises, et tout particulièrement celle du commissaire aux comptes, est essentielle au bon fonctionnement de notre économie et est, par conséquent, une condition indispensable pour garantir le bien-être de nos concitoyens.

 

La mission de base du commissaire aux comptes est certes d’assister ses clients par son professionnalisme et ses avis, mais est surtout une mission exercée au service de l’intérêt général, à savoir assurer la confiance de tous les acteurs du monde économique dans la qualité des comptes annuels et des états financiers des entreprises, qu’ils soient les apporteurs de capitaux, les dispensateurs de crédit, le personnel, les fournisseurs, les clients, la justice, ou encore l’administration fiscale et les autres pouvoirs publics

 

Sans cette indispensable confiance dans la fiabilité des comptes des entreprises, notre économie de marché ne serait pas en mesure de bien fonctionner. L’absence de confiance se ferait au détriment de chacun d’entre nous.

 

Pour remplir cette mission de « créateur de confiance », une seule mantra : la qualité.

 

 

Pas de confiance sans qualité

La qualité d’une mission de contrôle – et du rapport qui la conclut, lequel est, dans le cas de la mission du commissaire, public - relève d’une combinaison de plusieurs facteurs, tous aussi importants les uns que les autres : éthique, dont l’indépendance est un aspect primordial mais pas le seul ; culture de la qualité et organisation du cabinet ; formation de base et continue visant à assurer des connaissances étendues non seulement en matière de comptabilité, de consolidation, de contrôle interne, d’analyse de risques, de techniques d’audit, mais aussi des caractéristiques particulières des secteurs économiques dans lesquels oeuvrent leurs clients ; normes d’exercice professionnel ; sans oublier la supervision de la profession : surveillance et contrôle de la qualité.

 

Chacun de ces facteurs de la qualité fait l’objet de normes reconnues et appliquées internationalement, ou, en ce qui concerne la supervision, de règles européennes strictes. Il en existe également dans tous les pays développés.

 

Ces facteurs concourent à la qualité de tout audit d’états financiers, qu’il concerne une entité d’intérêt public, une association, une société petite ou moyenne, ou encore un organisme public ; les normes codifiant ces différents facteurs sont également uniformes, quel que soit le type ou la taille de l’entité contrôlée ou du cabinet d’audit, mais elles le sont de manière adaptée et proportionnée, même si, il est vrai, cette proportionnalité peut s’avérer difficile à mettre en œuvre.

 

La raison de cette application uniforme est relativement simple : il n’y a pas différentes manières d’être indépendant, il n’y a pas différentes manières de mettre en place une organisation du cabinet qui assure la qualité de l’exécution des missions, il n’y a pas différentes manières de contrôler des états financiers, dont l’image fidèle ne pourra être validée que si l’organe de gestion assure ses responsabilités en la matière, si l’organisation interne de l’entité est adéquat et si l’auditeur respecte les principes fondamentaux de l’audit ; seules en réalité l’amplitude des diligences de contrôle et la spécialisation des ressources dédiées à l’audit varieront avec le type et la taille de l’entité contrôlée.

 

Paradoxalement, le législateur lui-même souligne, en adoptant des règles particulières pour l’audit des entités d’intérêt public, l’importance de l’uniformité des facteurs de la qualité de l’audit et de l’application des normes qui les régissent : ces règles particulières ne sont que des compléments aux règles existantes, et ne sont autres qu’une extension de l’application des principes fondamentaux concourant à la qualité de tout audit, et non un remplacement.

 

Il le souligne également en soumettant tous les audits, qu’ils soient d’entités d’intérêt public ou d’autres entités, qu’ils soient légaux ou contractuels, à la supervision d’un organe de supervision totalement indépendant de la profession de réviseur d’entreprises – la seule en Belgique qui connaisse un tel régime de supervision -, et dont la mission est, stipule le législateur, de « veiller au respect des dispositions du cadre législatif et réglementaire applicable et en contrôler l’application » via l’organisation de contrôles de qualité.

 

Imaginer que la qualité d’une mission puisse exister sans la conjonction de tous ces facteurs de qualité n’est qu’illusion.

 

 

La même exigence de qualité en matière d’audit de PME

 

Mais, direz-vous, l’Institut n’a-t-il pas dérogé à cette antienne en édictant tout récemment, en collaboration avec l’Institut des Experts-Comptables et Conseils fiscaux, une norme spécifique, qui se départit des normes internationales d’audit, pour le contrôle contractuel des PME et des petites A(I)SBL et fondations et aux missions légales réservées et partagées auprès des PME et des petites A(I)SBL et fondations ?

 

En réalité, le conseil de l’IRE est parti de la considération que cette norme s’approche conceptuellement d’une déclinaison des normes internationales d’audit en vue de l’audit de petites entités, et dont le rapport n’est pas destiné à être rendu public ; cette norme s’inspire d’ailleurs très largement de la note technique publiée par le conseil de l’IRE en 2017, intitulée « Synthèse de la démarche d’audit dans des entités non complexe », et qui est destinée à expliciter la manière de contrôler les états financiers d’une entité non complexe en appliquant les normes internationales d’audit de manière proportionnée à cette (absence de) complexité.

 

Les autres facteurs de la qualité de l’audit déjà évoqués restent, bien entendu, de l’avis du conseil de l’IRE, entièrement d’application pour les audits pour lesquels cette norme de contrôle contractuel des PME s’applique : éthique, culture de la qualité, organisation du cabinet, formation et connaissances adéquates, et supervision effective.

 

Ceci soulève un autre problème : cette norme s’appliquant également aux experts-comptables – qu’il conviendra de qualifier de certifiés lorsque la loi de fusion de l’IEC et de l’IPCF approuvée le 28 février 2019 entrera en vigueur -, qui sont soumis à des règles de contenu du stage et de formation, de déontologie, d’organisation du cabinet et de supervision différentes, notamment en ce qu’elles concernent de manière moins spécifique le seul contrôle d’états financiers comme c’est le cas pour les réviseurs d’entreprises ; il conviendra à présent d’examiner dans quelle mesure ces différences seraient de nature à introduire un écart concurrentiel défavorable à l’une ou l’autre des deux professions, voire à conduire à un différentiel qualitatif du rapport de contrôle.

 

Le conseil de l’IRE a compris qu’il ne relève pas du vœu pieux de considérer que chacun des deux instituts désire résoudre ces écarts, et s’y attachera dans les mois qui viennent.

 

 

 

 

Le réviseur d’entreprises et la bonne gouvernance

 

Mais il est un autre domaine, moins exploré, où la création de confiance par les réviseurs d’entreprises au service de l’économie et des pouvoirs publics prend peu à peu de l’importance : il s’agit du rôle du contrôleur légal des comptes à l’égard de la gouvernance des entités contrôlées, et tout particulièrement dans les entités qui ont une relation forte avec les pouvoirs publics, soit qu’elles en exercent une partie des fonctions et relèvent ainsi du secteur public, soit qu’elles perçoivent de ces pouvoirs publics, voire du public en général, des subsides ou subventions importants – cas relativement fréquent dans le secteur associatif.

 

Dans ces entités plus qu’ailleurs, le contrôleur légal des comptes doit tenir compte des attentes des pouvoirs publics et du public à son égard, car il est bien souvent un des rares acteurs totalement indépendant qui soit susceptible de porter un regard critique sur le respect par l’organe de gestion de principes de base de la gouvernance ainsi que des lois et règlements ; on l’a vu récemment dans le traitement par la presse de différents problèmes touchant des entités du secteur public ou percevant d’importantes subventions, par exemple en matière de rémunération des organes de gestion, de respect de la réglementation des marché publics, de suivi financier des entités recevant des subsides, etc.

 

Bien évidemment, bien des mécanismes existent déjà, qui conduisent le contrôleur légal des comptes à remplir son devoir d’alerte dans certaines circonstances liées à la gouvernance : lorsqu’il constate une infraction au Code des sociétés – et notamment les importantes règles en matière de conflits d’intérêt - ou à la loi de 1921 sur les associations et fondations ou à la réglementation comptable applicable, lorsque la continuité de l’entité est menacée, lorsque des soupçons de blanchiment apparaissent ; il doit également vérifier que le rapport de gestion et le rapport de rémunération – lorsqu’ils sont requis – comportent les mentions obligatoires et ne contiennent pas d’incohérences par rapport aux informations dont il dispose dans son dossier ; il doit également tenir compte, lors de son audit, de l’impact éventuel sur les états financiers de toute infraction aux lois et règlements qui n’auraient pas un lien direct avec les états financiers – songeons par exemple aux infractions en matière d’environnement, d’urbanisme ou de marchés publics.

 

La Cour des comptes, elle aussi, est consciente de l’importance de la problématique du respect des règles de bonne gouvernance : elle a multiplié – tout récemment encore – les analyses et rapports consacrés à ces questions.

 

Le réviseur chargé du contrôle légal des comptes d’une entité doit à l’évidence se concentrer sur sa mission principale, qui est de faire rapport sur les états financiers de l’entité dans le but d’en assurer qualité ; c’est sans doute la raison pour laquelle son devoir d’alerte, tel que décrit ci-dessus, ne requerra pas une recherche systématique, proactive et organisée des infractions visées, son devoir étant uniquement d’alerter lors de la constatation d’une de ces infractions à l’occasion de l’application des diligences de contrôle; il ne faudrait pas que l’exercice de ce devoir d’alerte – aussi appelé fonction signal – accapare trop les ressources, par essence limitées, nécessaires au contrôle des états financiers.

 

 

Expectation gap

 

Mais on touche ici du doigt un défaut structurel profond du mécanisme d’alerte lors de la constatation d’une infraction ou d’un problème : peu, en dehors du monde relativement fermé de l’audit légal, font vraiment la différence entre une infraction constatée et conduisant à la mise en œuvre de la procédure d’alerte, et une infraction, bien réelle elle aussi, mais qui n’a pas été constatée par le réviseur chargé du contrôle légal des comptes, car elle ne rentrait pas dans le cadre des diligences de contrôle développées pour le contrôle légal des comptes.

 

Bien vite, lorsqu’est révélée une telle infraction qui ne pouvait pas être constatée par le réviseur d’entreprises, naît l’interrogation dans l’esprit du public : mais comment cette infraction n’a-t-elle pas été découverte par le réviseur chargé du contrôle légal des comptes, comment n’est-il pas intervenu pour l’empêcher ?

 

En l’occurrence, avouons-le, la réponse est bien difficile à livrer au profane, alors que l’image de qualité de notre profession en ressort bien souvent ternie.

 

Devant ce risque réputationnel, mais aussi et surtout devant le besoin de concourir à la protection de l’intérêt public, ne devrions-nous pas, nous les réviseurs d’entreprises, analyser l’intérêt, à tout le moins lors des missions de contrôle exercées dans les entités dépendant du secteur public ou bénéficiant de ses subsides, de développer une démarche davantage proactive – sans être systématique en raison des coûts que cela représenterait – dans l’identification des problèmes et infractions liées à la gouvernance ?

 

Beau débat en perspective !

 

Thierry DUPONT

Président IRE